Equilibres spirituels
« Un vêtement est solidaire du clou auquel il est accroché, il tombe si on l'arrache du clou, il oscille si le clou remue, il se troue, il se déchire si la tête du clou est trop pointue (…) Ainsi la conscience est incontestablement accrochée à un cerveau, mais il ne résulte nullement de là que le cerveau dessine tout le détail de la conscience, ni que la conscience soit une fonction du cerveau. »
Henri Bergson
Les sculptures de Sarah Roshem sont de véritables paradoxes visuels. Jouant tour à tour sur la matière et sur les poids des éléments qui composent ses œuvres, cette artiste céroplasticienne est parvenue, dans ses derniers travaux, à donner corps à ce que nous serions tentés d'appeler : les équilibres précaires de la subjectivité. Reprenant avec infiniment de poésie la métaphore du clou inventée par Bergson pour parler de la relation du corps à l'esprit, ses sculptures sont d'abord et avant tout des représentations spatiales du fonctionnement de notre économie psychique.
Suspendue à un crochet, une corde relie ensemble deux flotteurs à un harpon. Les flotteurs, bien que par essence légers, sont présentés comme deux boulets assurant à l'ensemble de la structure sa stabilité. A l'inverse, le harpon, loin d'être cette arme dure et métallique dont la finalité est de pouvoir tuer, n'est autre qu'un morceau de cire fragile dont la pointe aux couleurs rosées n'est pas sans rappeler la chair de l'animal dans laquelle sa lame aurait dû pouvoir s'enfoncer. Autrement dit, tout ici est fait pour désamorcer la charge « réaliste » de la structure : pour lui donner sa portée poético- métaphysique.
C'est pourquoi, si nous devions nous risquer à en proposer une interprétation, voici comment nous pourrions la formuler : si les flotteurs sont présentés comme des boulets, et si le harpon n'est autre qu'un artefact absolument inoffensif c'est que, peut-être, Sarah Roshem n'a pas seulement voulu nous parler des structures de la subjectivité, mais des rapports qui existent entre le narcissisme (dont la « lourdeur » est toujours égale à sa légèreté) et les pulsions agressives que chaque être humain a le devoir de sublimer (en donnant à leur tranchant la fragilité de la cire). Mais cette opération de « sublimation », cette conversation de l'âme à la tendresse, n'en reste pas moins le produit d'un équilibre plus global – d'une mise en suspend du corps au profit de l'âme qui l'anime.
Frédéric-Charles Baitinger
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